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(Echanges. Contribution J-F C. Janvier 2005)

Les nouveaux penseurs de l’Islam.
(Rachid Benzine – Ed. Albin Michel)

Compte-rendu de lecture J-F C.







Tu m’as dit : «Viens au jardin pendant les jours de printemps,
Il y aura des bougies, du vin, des belles aux joues vermeilles ».
Si Tu n’y es pas : que faire de tout cela ?
Et si Tu t’y trouves : à quoi bon toutes ces choses ? …
(Du Mystique Mevlana)


Le propos du livre est de faire connaître à un public francophone qui les ignore, en présentant l’essentiel de leurs pensées, des intellectuels du monde musulman, hommes ou femmes, croyants convaincus, qui ressentent la nécessité de repenser l’islam et s’appliquent courageusement à cette tâche.

Il est malaisé de faire un résumé de ce livre, qui lui-même en est un particulièrement dense, à mes yeux tout à fait intéressant, quoique parfois embrouillé et compliqué.

Il comprend :

- un chapitre d’ouverture, intitulé « l’islam et la modernité », qui pose en quelque sorte le       problème de fond auquel se heurtent ces intellectuels,

- un second chapitre consacré aux précurseurs de la pensée islamique présentée,

- quelques chapitres ensuite consacrés chacun à un penseur particulier,

- une conclusion enfin, « ouverte », c'est-à-dire invitant à d’autres réflexions.

Le titre de l’ouvrage est : « Les nouveaux penseurs de l’islam ».

… penseurs de l’islam, c’est à dire des croyants, des personnes qui voient l’islam de l’intérieur, qui en sont. Ce ne sont pas des « penseurs » d’un monde musulman. Ils sont profondément et fondamentalement attachés à leur foi, dont ils rendent compte et qu’ils approfondissent avec une grande intelligence, mais dont il n’est absolument pas question dans leur esprit de remettre en cause les bases : le Coran et le Prophète.

Ce à quoi ils s’attachent, c’est à comprendre le message aujourd’hui, persuadés qu’en lui-même il est intemporel, universel et parfait, parce que divin, mais conscients que sa formulation, elle, est temporelle, par conséquent contingente, sujette à interprétation, discutable et constamment appelée à évoluer.

Ce qui les presse dans leur réflexion, et qui leur pose problème, c’est apparemment la modernité, ce que l’on peut entendre comme

- la matérialisation de la vie ordinaire,

- l’implacabilité des règles socio-économiques qui conditionnent mondialement les échanges,

- l’athéisme pratique de l’occident, auquel l’histoire semble donner raison, puisque celui-ci est sur l’heure tout puissant,

- l’avènement d’une période de l’histoire humaine où la raison et la science l’emportent sur la primauté reconnue jadis aux Ecritures, à la Tradition et à la Coutume. Au cœur de la modernité il y a l’idée de l’individu qui agit librement et connaît librement.

Cet effort de pensée n’est pas toujours bien compris,  ou bien admis, des populations, ni surtout de ses officiels. Les idées avancées en effet inquiètent, dérangent, contredisent. De ce fait, les intellectuels en question ne sont pas représentatifs du monde musulman. Ils sont au contraire en butte à la contradiction, à l’opposition, aux menaces, aux sanctions … Certains en sont conduits à s’exiler et vivent à l’étranger.

Et on le comprend.
L’appel au renouveau du discours religieux se révèle un appel plus général à la liberté de penser. Ainsi apparaissent-ils naturellement comme des opposants dont il faut se débarrasser.


Les précurseurs de la pensée islamique actuelle.

Il y a toujours eu une pensée en islam. Elle n’a simplement pas été toujours « réformiste ».

C’est le déclin du monde musulman, pour une part lié à la chute de l’empire ottoman, et pour une autre à l’universelle mainmise occidentale, qui a provoqué une réaction dite réformiste.

Au 18ème siècle déjà, estimant que la décadence du monde musulman était due à un certain affadissement de la foi, les penseurs de l’époque prônaient un retour à la pure religion, au premier islam, celui de origines. C’est ce que l’on a appelé le « revivalisme », dans lequel deux figures se détachent, Abd al-Wahab (1703 – 1792), dans la péninsule arabique, et Shah Wali Allah al-Dilawhi (1703 – 1762), en Inde.

Au revivalisme succède au milieu du XIX ème le réformisme moderne, qui durera jusque vers 1.940.

Le réformisme traduit une volonté de réformer la vie sociale, les mœurs, le mode de penser (en faisant plus large part à la raison), et aussi le rapport à la connaissance religieuse. Il s’attache à prendre en compte les manières de voir occidentales, de façon critique et prudente certes, mais en y reconnaissant des valeurs, valeurs qui devraient être compatibles avec l’islam, et par conséquent bonnes à assimiler.

On voit donc poindre à cette époque des remises en cause hardies.

Par exemple, on suggère d’interpréter métaphoriquement les versets du Coran qui, pris littéralement, seraient contredits à l’évidence par la raison et par la science ; d’aucuns avancent qu’à leur avis presque aucune chaîne de transmission des hadiths (recueil des actes et des paroles du Prophète) n’est fiable ; on ose aussi dire que si Mahomet est et reste le grand Prophète, cela n’exclut pas le don de prophétie avant lui et après lui.

Sensibles à la décadence des sociétés musulmanes, les premiers réformistes avaient tendance à se placer dans une position défensive face à l’intrusion et à la suprématie européennes. Ils étaient en réaction. Ils n’ont pas élaboré de véritable système de pensée. Ils sont restés dépendants de la religion des premiers temps, idéalisée à l’extrême.

Après 1940 le contexte a changé. C’est la fin de l’ère coloniale, l’occident européen s’efface devant l’occident américain. La révolution soviétique de 1917 inspire des révolutions nationalistes arabes. Ce n’est plus le moment d’une rationalisation de l’islam mais celui de la redéfinition (plutôt laïque) de la société.

Il ressort de cette nouvelle période deux grands courants réformateurs

- le premier, qui a donné naissance à la société des frères musulmans (1928), est un courant islamiste, suivant lequel l’islam doit tout inspirer dans la vie des hommes, à commencer par l’organisation politique des sociétés et des états. Il s’établit aussi sur le refus des valeurs de l’Occident.

- Le second est celui d’un « islam critique ». Avec ce courant sont reposées les questions de la relation du profane et du sacré, du politique et du religieux, de l’histoire et de la foi. Selon lui il n’y a pas de modèle islamique du pouvoir … les musulmans peuvent se donner les types de gouvernement qu’ils jugent les mieux appropriés … les sciences sociales et politiques ont le droit d’être autonomes par rapport aux prescriptions religieuses … etc. Il s’agit en bref d’une manière ouverte, en principe plus fidèle à l’esprit, de considérer la religion : « Dieu voulait que l’islam fût une religion, mais les hommes ont voulu en faire une politique … ».

Ceci étant dit, l’ouvrage aborde, ci-annexé, ce que son auteur estime être pour chaque penseur présenté le fond de son apport :

- Annexe 1 : Abdul Karim Soroush
- Annexe 2 : Mohammed Arkoun
- Annexe 3 : Fazlur Rahman
- Annexe 4 : Amin al-Khûli et Muhammad Khalafallâh
- Annexe 5 : Nasr Hamid Abû Zayd
- Annexe 6 : Abdelmajid Charfi
- Annexe 8 : Farid Esack



Allah  akbar !




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