Annexe 2.
Fiche Mohammed Arkoun.
La
personne.
Algérien,
précisément Kabyle. Né en 1928.
Famille modeste, traditionnelle et pieuse.
A dû apprendre l’arabe, qui
n’était pas sa langue maternelle, et le
français pour pouvoir faire ses études, qui
l’ont mené d’abord à Tizi
Ouzou, puis à Alger, enfin à Paris. Cette
difficulté (et d’autres), l’insuffisance
de l’enseignement prodigué et les
désordres liés à la guerre
d’Algérie ont fait de lui, autant que ses
dispositions personnelles, un homme de recherche.
Agrégé en langue et littérature arabe.
Professeur émérite à la Sorbonne,
où il a enseigné l’histoire de la
pensée islamique pendant des années. Auteur
d’une œuvre impressionnante mais difficile, qui
suscite soit l’enthousiasme, soit le rejet de ses lecteurs.
La pensée.
Il est intéressant tout d’abord de noter que
l’humanisme arabe du 10ème siècle a
grandement inspiré les travaux de Mohammed Arkoun, car cette
époque a été justement une
période de réflexion critique sur la
cité politique et la religion elle-même :
« Je n’ai fait qu’élargir,
dans un contexte de modernité, l’attitude
intellectuelle qui caractérisait
l’époque ».
Son grand propos est de soumettre les religions à la
« raison interrogative ».
Pour y voir clair, il met en évidence que toute religion
peut être vue suivant trois aspects :
* La religion - force : c’est celle qui propose des
réponses aux grandes questions de l’existence :
l’origine du monde, la raison des choses, la
destinée de l’homme, le bien, le mal, la
souffrance, la mort … et l’au-delà de
celle-ci. Religion – force, parce qu’elle est pour
les personnes et pour les sociétés une raison de
vivre et de faire.
* La religion – forme : c’est
l’incarnation de la précédente dans le
temps et dans l’histoire, au travers des rites, des
prescriptions, des moeurs, du droit … Pour
l’islam, c’est en particulier
l’institution du califat, la chari’a et
l’Oumma, la communauté des croyants. Les formes
sont nécessaires, mais elles tendent à faire
oublier leurs sources, les religions - force, alors
déviées de leur intention première.
* La religion individuelle : c’est celle de la vie
intérieure des personnes, inspirée par la
première, nourrie et guidée, mais aussi
déviée, par la seconde.
Dans cette vue des choses, par souci de
fidélité au message d’origine,
considéré comme parfaitement sûr,
Mohammed Arkoun insiste pour la prise en compte des apports
historiques, sociologiques et anthropologiques dans la
pensée théologique et philosophique, et il en
vient à se poser les deux questions de fond suivantes :
- Dans quelles conditions vérifiables
l’idée de vérité
acquiert-elle une force telle qu’elle commande la
destinée d’un individu ou produit une histoire
collective ?
- Comment cette « idée de la
vérité » parvient-elle à se
maintenir à travers le temps ?
La réponse à ces questions n’est
malheureusement pas, même de loin, apportée par
l’auteur.
Pour Mohammed Arkoun, si le Coran s’est imposé
c’est en vertu de la croyance dans une forme de raison
d’origine divine, transcendante, qui l’habite. Mais
en le « sacralisant », on a oublié
qu’il s’agit d’un texte «
ouvert à une multitude de possibles », constamment
offert à la réflexion.
Ainsi en vient-il à dénoncer la fermeture
à l’effort individuel et collectif
d’interprétation opérée par
les pouvoirs politiques des 10ème et
11ème siècle, et en appelle-t-il à une
« islamologie appliquée », consistant
à étudier le texte coranique et les textes
seconds de la tradition à la lumière de
l’histoire, en utilisant tous les instruments possibles
à disposition – sciences, linguistique,
anthropologie … .
Sa pensée à propos de l’orthodoxie
(celle de l’islam au moins) est intéressante
à noter en ceci qu’il la voit comme «
une vision idéologique, extraordinairement
orientée vers l’intérêt
subjectif du groupe auquel elle appartient ».
L’orthodoxie pour lui est un des facteurs les plus influents
dans le développement des sociétés et
dans les changements intervenant à
l’intérieur de celles-ci, mais ce sont aussi des
pouvoirs qui la définissent, en sorte
qu’abordée sous l’angle historique, la
vérité religieuse serait le résultat
de rapports de forces, par conséquent relative.
Comment Mohammed Arkoun voit-il alors le Coran ? Selon lui il y a trois
niveaux de compréhension :
- Le premier est celui de la Parole de Dieu. Il se rapporte au Livre
céleste, pure lumière, sublime, souverain,
inépuisable, indicible, indiscutable …
- Le second est celui du discours coranique : qu’en a dit le
Prophète ? Qu’en ont dit ses compagnons ?
- Le troisième est le texte écrit (mushaf),
recueil des discours précédents,
constitué entre 632 et 661, élevé
depuis au rang de corpus officiel clos –
l’orthodoxie musulmane.
Il fait ainsi observer que le Coran est créé :
manifestation de la Parole de Dieu, certes, mais dans un langage humain
- l’arabe -, dans un temps déterminé,
pour des êtres réfléchis qui ont le
devoir de chercher à le comprendre, par
conséquent de l’interpréter.
Le passage de l’oral à
l’écrit a pour lui trois conséquences :
- l’introduction de changements radicaux dans la transmission
du message,
- l’attribution d’un caractère
sacré au texte écrit,
- le rôle croissant accordé à la
culture écrite au détriment de la culture orale.
Avançant dans cette réflexion, Mohammed
Arkoun distingue « le fait coranique », qui est la
Révélation façonnée par le
discours, et « le fait islamique », qu’il
définit comme un système de croyances
régulièrement utilisé à des
fins politiques et idéologiques :
- La descente du Coran peut être
interprétée comme l’appel de Dieu
à la conscience humaine, … mais le Coran comme
texte clos est devenu l’axe du fait islamique.
- Lié à une langue, l’arabe, le
discours coranique s’est
révélé être un discours
fondateur, … mais avec la diffusion d’une
signification arbitrairement choisie par eux, les tenants du pouvoir
ont utilisé le Coran à leurs fins propres.
- Le fait coranique relève du monde de la communication
orale, à ce titre il est ouvert quant à sa
signification, … mais avec la fixation écrite et
l’interprétation figée qu’on
en donne, la Révélation perd sa signification
ouverte.
En résumé, pour lui le Coran est à la
fois Révélation et document historique et
littéraire.
A ce dernier titre il est contingent, donc discutable («
discutable », au sens de soumis à
réflexion, recherche, discussion). Il est plus ou moins
porteur d’une Réalité que son
imaginaire (sa représentation) rend accessible, mais en
même temps réduit et déforme.
Façonnant son discours à partir d’une
exégèse limitée, la pensée
musulmane du 10ème siècle a imposé des
frontières à ne pas franchir et
créé un domaine « impensable
», indiscutable, auquel appartiennent l’histoire du
texte, la formulation de la charia, le statut de la personne, celui de
la femme …, tous sujets tabous.
Pour Mohammed Arkoun, ce n’est pas seulement la
chari’a, mais aussi la Torah et le cœur de la
tradition chrétienne qui sont sujets à
l’historicité, sachant que sur le fond les
religions dont elles procèdent ont bien une même
vision de la Vérité
révélée : même conception de
la destinée humaine imposée par une
même perspective eschatologique, la recherche du salut par la
soumission à la volonté de Dieu.