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(Echanges. Contribution J-F C. Janvier 2005)

« Les nouveaux penseurs de l’islam ».



Annexe 2.

Fiche Mohammed Arkoun
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La personne.


Algérien, précisément Kabyle. Né en 1928. Famille modeste, traditionnelle et pieuse.

A dû apprendre l’arabe, qui n’était pas sa langue maternelle, et le français pour pouvoir faire ses études, qui l’ont mené d’abord à Tizi Ouzou, puis à Alger, enfin à Paris. Cette difficulté (et d’autres), l’insuffisance de l’enseignement prodigué et les désordres liés à la guerre d’Algérie ont fait de lui, autant que ses dispositions personnelles, un homme de recherche.

Agrégé en langue et littérature arabe.
Professeur émérite à la Sorbonne, où il a enseigné l’histoire de la pensée islamique pendant des années. Auteur d’une œuvre impressionnante mais difficile, qui suscite soit l’enthousiasme, soit le rejet de ses lecteurs.


La pensée.

Il est intéressant tout d’abord de noter que l’humanisme arabe du 10ème siècle a grandement inspiré les travaux de Mohammed Arkoun, car cette époque a été justement une période de réflexion critique sur la cité politique et la religion elle-même : « Je n’ai fait qu’élargir, dans un contexte de modernité, l’attitude intellectuelle qui caractérisait l’époque ».

Son grand propos est de soumettre les religions à la « raison interrogative ».
Pour y voir clair, il met en évidence que toute religion peut être vue suivant trois aspects :

* La religion - force : c’est celle qui propose des réponses aux grandes questions de l’existence : l’origine du monde, la raison des choses, la destinée de l’homme, le bien, le mal, la souffrance, la mort … et l’au-delà de celle-ci. Religion – force, parce qu’elle est pour les personnes et pour les sociétés une raison de vivre et de faire.

* La religion – forme : c’est l’incarnation de la précédente dans le temps et dans l’histoire, au travers des rites, des prescriptions, des moeurs, du droit … Pour l’islam, c’est en particulier l’institution du califat, la chari’a et l’Oumma, la communauté des croyants. Les formes sont nécessaires, mais elles tendent à faire oublier leurs sources, les religions - force, alors déviées de leur intention première.

* La religion individuelle : c’est celle de la vie intérieure des personnes, inspirée par la première, nourrie et guidée, mais aussi déviée, par la seconde.

 Dans cette vue des choses, par souci de fidélité au message d’origine, considéré comme parfaitement sûr, Mohammed Arkoun insiste pour la prise en compte des apports historiques, sociologiques et anthropologiques dans la pensée théologique et philosophique, et il en vient à se poser les deux questions de fond suivantes :

- Dans quelles conditions vérifiables l’idée de vérité acquiert-elle une force telle qu’elle commande la destinée d’un individu ou produit une histoire collective ?

- Comment cette « idée de la vérité » parvient-elle à se maintenir à travers le temps ?

La réponse à ces questions n’est malheureusement pas, même de loin, apportée par l’auteur.

Pour Mohammed Arkoun, si le Coran s’est imposé c’est en vertu de la croyance dans une forme de raison d’origine divine, transcendante, qui l’habite. Mais en le « sacralisant », on a oublié qu’il s’agit d’un texte « ouvert à une multitude de possibles », constamment offert à la réflexion.

Ainsi en vient-il à dénoncer la fermeture à l’effort individuel et collectif d’interprétation opérée par les pouvoirs politiques des 10ème  et 11ème siècle, et en appelle-t-il à une « islamologie appliquée », consistant à étudier le texte coranique et les textes seconds de la tradition à la lumière de l’histoire, en utilisant tous les instruments possibles à disposition – sciences, linguistique, anthropologie … .

Sa pensée à propos de l’orthodoxie (celle de l’islam au moins) est intéressante à noter en ceci qu’il la voit comme « une vision idéologique, extraordinairement orientée vers l’intérêt subjectif du groupe auquel elle appartient ». L’orthodoxie pour lui est un des facteurs les plus influents dans le développement des sociétés et dans les changements intervenant à l’intérieur de celles-ci, mais ce sont aussi des pouvoirs qui la définissent, en sorte qu’abordée sous l’angle historique, la vérité religieuse serait le résultat de rapports de forces, par conséquent relative.

Comment Mohammed Arkoun voit-il alors le Coran ? Selon lui il y a trois niveaux de compréhension :

- Le premier est celui de la Parole de Dieu. Il se rapporte au Livre céleste, pure lumière, sublime, souverain, inépuisable, indicible, indiscutable …

- Le second est celui du discours coranique : qu’en a dit le Prophète ? Qu’en ont dit ses compagnons ?

- Le troisième est le texte écrit (mushaf), recueil des discours précédents, constitué entre 632 et 661, élevé depuis au rang de corpus officiel clos – l’orthodoxie musulmane.

Il fait ainsi observer que le Coran est créé : manifestation de la Parole de Dieu, certes, mais dans un langage humain - l’arabe -, dans un temps déterminé, pour des êtres réfléchis qui ont le devoir de chercher à le comprendre, par conséquent de l’interpréter.

Le passage de l’oral à l’écrit a pour lui trois conséquences :

- l’introduction de changements radicaux dans la transmission du message,

- l’attribution d’un caractère sacré au texte écrit,

- le rôle croissant accordé à la culture écrite au détriment de la culture orale.

 Avançant dans cette réflexion, Mohammed Arkoun distingue « le fait coranique », qui est la Révélation façonnée par le discours, et « le fait islamique », qu’il définit comme un système de croyances régulièrement utilisé à des fins politiques et idéologiques :

- La descente du Coran peut être interprétée comme l’appel de Dieu à la conscience humaine, … mais le Coran comme texte clos est devenu l’axe du fait islamique.

- Lié à une langue, l’arabe, le discours coranique s’est révélé être un discours fondateur, … mais avec la diffusion d’une signification arbitrairement choisie par eux, les tenants du pouvoir ont utilisé le Coran à leurs fins propres.

- Le fait coranique relève du monde de la communication orale, à ce titre il est ouvert quant à sa signification, … mais avec la fixation écrite et l’interprétation figée qu’on en donne, la Révélation perd sa signification ouverte.

En résumé, pour lui le Coran est à la fois Révélation et document historique et littéraire.
A ce dernier titre il est contingent, donc discutable (« discutable », au sens de soumis à réflexion, recherche, discussion). Il est plus ou moins porteur d’une Réalité que son imaginaire (sa représentation) rend accessible, mais en même temps réduit et déforme.

Façonnant son discours à partir d’une exégèse limitée, la pensée musulmane du 10ème siècle a imposé des frontières à ne pas franchir et créé un domaine « impensable », indiscutable, auquel appartiennent l’histoire du texte, la formulation de la charia, le statut de la personne, celui de la femme …, tous sujets tabous.

Pour Mohammed Arkoun, ce n’est pas seulement la chari’a, mais aussi la Torah et le cœur de la tradition chrétienne qui sont sujets à l’historicité, sachant que sur le fond les religions dont elles procèdent ont bien une même vision de la Vérité révélée : même conception de la destinée humaine imposée par une même perspective eschatologique, la recherche du salut par la soumission à la volonté de Dieu.




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