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(Echanges. Contribution J-F C. Janvier 2005)

« Les nouveaux penseurs de l’islam ».



Annexe 1.

Fiche Abdul Karim Soroush.






La personne.

Iranien. Né à Téhéran en 1945. Famille cultivée, classe moyenne.

Etudes de chimie, diplôme de pharmacologie.
Epris de littérature, de poésie, de philosophie, de politique.
Séjour en Angleterre de 1970 à 1979, où il poursuit dans la chimie mais surtout se passionne pour l’histoire et la philosophie des sciences, matières dans lesquelles il publie.

Retour en Iran en 1979. Y poursuit sa recherche personnelle, dans le bouillonnement intellectuel né de la révolution islamique (retour de Khomeiny).

Esprit libre, sérieux et courageux, il a un grand rayonnement, notamment dans les milieux universitaires, où il enseigne pendant plusieurs années à partir de 1990.
Présent dans l’arène sociale et politique, sa liberté de pensée et son audience finissent par lui attirer les foudres des mollahs. On lui crée des difficultés, le persécute, le menace. Il finit par s’exiler aux USA, où il enseigne à l’université de Harvard (2002).


La pensée.

* Les circonstances de son temps, ses études, son cheminement personnel l’amènent tout d’abord à défendre les sciences sociales et humaines, accusées d’être « impures » et « occidentales », responsables de la corruption de la jeunesse et de la « sécularisation athéisante » de l’époque. Se référant à « la nature compétitive » de la science et de la connaissance, il en étend le concept aux connaissances religieuses.

* Portant son attention sur l’exégèse du Coran, il s’interroge et débat :

- Pourquoi les mêmes versets du Livre ont-ils suscité des interprétations différentes dans l’histoire de l’islam ?

- Comment l’idéologie de fuite du monde des soufis et celle de domination du monde des acteurs politiques peuvent-elle être toutes deux extraites du Coran ?

- Pourquoi un certain type d’interprétation religieuse apparaît-il à une certaine époque et pas à une autre ?

* Il avance qu’il faut distinguer entre « le religieux », constitué par le message révélé, objectif, et « la religiosité », qui en est l’interprétation, sujette comme les sciences à recherche, évolution, meilleure appréhension.

* En matière politique, un gouvernement clérical n’a pour lui aucun sens.

* A ses yeux, aucun membre du clergé ne devrait bénéficier de privilèges matériels, un point de vue qu’il exprime dans deux articles aux titres évocateurs qui ont fait grand bruit : « La bravoure et le clergé », et « La voûte du moyen d’existence sur le pilier de la religion ».

* Il estime que le gouvernement islamique agit sans théorie ni doctrine, de manière désordonnée et réactive …

En allant plus loin dans sa pensée …

* Pour lui, toute tentative de reconstruire l’islam est à la fois futile et illusoire.

* Prenant acte de ce qu’il y a conflit dans le monde contemporain entre la religion, dans sa dimension immuable, et le monde dynamique de l’existence terrestre, il recherche leur nécessaire conciliation. A ses yeux

- en se soumettant au changement, après la renaissance, l’Europe s’est affranchie de la religion au point d’en provoquer la disparition,

- le monde musulman de son côté, en se crispant dans une attitude inverse, aboutit au même résultat, qui est le déclin de la véritable religion.

* Il affirme que, certes, le Coran est sans imperfection et que la religion révélée est sûre, mais que la connaissance religieuse que l’on a de cette religion, elle, a sans cesse besoin d’être approfondie. Pour lui la raison n’est pas destinée à venir en aide à la religion pour la compléter ou la justifier, mais pour en améliorer la compréhension.
Il écrit à ce propos:
« La Révélation ne nous montre pas ses secrets en nous parlant directement. Nous devons nous mettre en recherche de ses secrets et trouver les bijoux qui sont cachés là. Tout ce que nous recevons et obtenons de la religion est interprétation ».

* Il observe que tous les domaines de la connaissance sont dans un état de transformation permanente et que le changement dans un domaine affecte tous les autres, plus généralement celui de la pensée, amenant finalement à une transformation de la connaissance religieuse. Il invite donc les hommes de religion à entrer en dialogue permanent avec les scientifiques :
« Nos oulémas devraient en savoir davantage sur la philosophie des sciences ainsi que sur les autres branches du savoir. Cela les habiterait de questions plus profondes, qu’ils pourraient alors soumettre au Texte révélé … ».
« … La dernière religion est déjà ici, mais la dernière compréhension de la religion n’est pas encore arrivée. Il y a un jour où la religion a atteint son achèvement, mais quand la connaissance de la religion atteindra-t-elle son zénith ? Ce jour-là, ce n’est pas seulement la connaissance religieuse, mais toutes les autres branches de la connaissance humaine qui auront atteint leur apogée ».

* Pour lui, l’islam souffre de deux maux

- l’idéologisation de la religion – une idéologie derrière laquelle on se réfugie face à la modernité,

- l’accent excessif mis sur les aspects juridiques, au détriment de l’éthique, de la théologie et de la vie spirituelle.

* Quant au premier mal, la déviance moderne est pour lui que l’on en est venu à comprendre l’islam plutôt comme une identité que comme une vérité.

* Quant au second, il affirme que « la loi », si nécessaire qu’elle soit, n’est pas le cœur de l’islam et sûrement pas sa totalité : la foi intérieure doit prévaloir sur les pratiques extérieures.

* Toujours selon lui, ces deux maladies sont la cause d’une stagnation de la pensée religieuse et rendent impossible tout dialogue. Logiquement, il en vient à se faire le défenseur de la démocratie (en politique), qu’il définit comme l’existence du pluralisme et de la tolérance dans la Société : il faut savoir concilier religion et démocratie, raison et Révélation, les valeurs de justice et de liberté étant quant à elles absolues.
Pour être compatible avec la démocratie, l’approche religieuse doit accepter comme primordiales les valeurs de la rationalité, de la justice, de la liberté, des droits de l’homme etc.

* Une question de fond pour Abdul Karim Soroush : Comment peut-on vivre comme musulman dans un monde qui ne l’est pas ?
Pour répondre à cette question essentielle, ouverte, Soroush attire l’attention de ses coreligionnaires sur trois manifestations particulières de la modernité qui méritent d’être prises en considération :

- la raison critique, contre laquelle semble buter la raison « herméneutique (c. à d. qui a pour objet l’interprétation des textes) » : il est inévitable pour lui de soumettre la pensée traditionnelle à la première de ces raisons,

- le scepticisme, auquel se heurte l’absolutisme en matière de pensée. Il pose la question : est-il, comme on le croyait traditionnellement, une vérité certaine et absolue qui soit accessible ?

- les droits, étrangers à la pensée islamique dans laquelle il n’est question que de devoirs, les droits étant à la base des conceptions modernes de liberté et de sécularisme.

Ce que propose en définitive Soroush, c’est une religiosité instruite et réfléchie, vécue, c'est-à-dire appuyée sur l’expérience, fondée sur l’amour de Dieu, dont le prototype est l’expérience prophétique de Mahomet. Dieu est pour lui le Bien Aimé, pas un législateur austère. Ses commandements sont à observer par compulsion d’amour, pas par obligation « légale ».





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