Annexe 1.
Fiche Abdul Karim Soroush.
La
personne.
Iranien. Né
à Téhéran en 1945. Famille
cultivée, classe moyenne.
Etudes de chimie,
diplôme de pharmacologie.
Epris de
littérature, de poésie, de philosophie, de
politique.
Séjour en
Angleterre de 1970 à 1979, où il poursuit dans la
chimie mais surtout se passionne pour l’histoire et la
philosophie des sciences, matières dans lesquelles il publie.
Retour en Iran en 1979.
Y poursuit sa recherche personnelle, dans le bouillonnement
intellectuel né de la révolution islamique
(retour de Khomeiny).
Esprit libre,
sérieux et courageux, il a un grand rayonnement, notamment
dans les milieux universitaires, où il enseigne pendant
plusieurs années à partir de 1990.
Présent dans
l’arène sociale et politique, sa
liberté de pensée et son audience finissent par
lui attirer les foudres des mollahs. On lui crée des
difficultés, le persécute, le menace. Il finit
par s’exiler aux USA, où il enseigne à
l’université de Harvard (2002).
La pensée.
* Les
circonstances de son temps, ses études, son cheminement
personnel l’amènent tout d’abord
à défendre les sciences sociales et humaines,
accusées d’être « impures
» et « occidentales », responsables de la
corruption de la jeunesse et de la «
sécularisation athéisante » de
l’époque. Se référant
à « la nature compétitive »
de la science et de la connaissance, il en étend le concept
aux connaissances religieuses.
* Portant son
attention sur l’exégèse du Coran, il
s’interroge et débat :
- Pourquoi les
mêmes versets du Livre ont-ils suscité des
interprétations différentes dans
l’histoire de l’islam ?
- Comment
l’idéologie de fuite du monde des soufis et celle
de domination du monde des acteurs politiques peuvent-elle
être toutes deux extraites du Coran ?
- Pourquoi un certain
type d’interprétation religieuse
apparaît-il à une certaine époque et
pas à une autre ?
* Il avance
qu’il faut distinguer entre « le religieux
», constitué par le message
révélé, objectif, et « la
religiosité », qui en est
l’interprétation, sujette comme les sciences
à recherche, évolution, meilleure
appréhension.
* En
matière politique, un gouvernement clérical
n’a pour lui aucun sens.
* A ses yeux,
aucun membre du clergé ne devrait
bénéficier de privilèges
matériels, un point de vue qu’il exprime dans deux
articles aux titres évocateurs qui ont fait grand bruit :
« La bravoure et le clergé », et
« La voûte du moyen d’existence sur le
pilier de la religion ».
* Il estime
que le gouvernement islamique agit sans théorie ni doctrine,
de manière désordonnée et
réactive …
En allant plus loin
dans sa pensée …
* Pour lui,
toute tentative de reconstruire l’islam est à la
fois futile et illusoire.
* Prenant acte
de ce qu’il y a conflit dans le monde contemporain entre la
religion, dans sa dimension immuable, et le monde dynamique de
l’existence terrestre, il recherche leur
nécessaire conciliation. A ses yeux
- en se soumettant au
changement, après la renaissance, l’Europe
s’est affranchie de la religion au point d’en
provoquer la disparition,
- le monde musulman de
son côté, en se crispant dans une attitude
inverse, aboutit au même résultat, qui est le
déclin de la véritable religion.
* Il affirme
que, certes, le Coran est sans imperfection et que la religion
révélée est sûre, mais que
la connaissance religieuse que l’on a de cette religion,
elle, a sans cesse besoin d’être approfondie. Pour
lui la raison n’est pas destinée à
venir en aide à la religion pour la compléter ou
la justifier, mais pour en améliorer la
compréhension.
Il écrit
à ce propos:
« La
Révélation ne nous montre pas ses secrets en nous
parlant directement. Nous devons nous mettre en recherche de ses
secrets et trouver les bijoux qui sont cachés là.
Tout ce que nous recevons et obtenons de la religion est
interprétation ».
* Il observe que tous
les domaines de la connaissance sont dans un état de
transformation permanente et que le changement dans un domaine affecte
tous les autres, plus généralement celui de la
pensée, amenant finalement à une transformation
de la connaissance religieuse. Il invite donc les hommes de religion
à entrer en dialogue permanent avec les scientifiques :
« Nos
oulémas devraient en savoir davantage sur la philosophie des
sciences ainsi que sur les autres branches du savoir. Cela les
habiterait de questions plus profondes, qu’ils pourraient
alors soumettre au Texte révélé
… ».
«
… La dernière religion est
déjà ici, mais la dernière
compréhension de la religion n’est pas encore
arrivée. Il y a un jour où la religion a atteint
son achèvement, mais quand la connaissance de la religion
atteindra-t-elle son zénith ? Ce jour-là, ce
n’est pas seulement la connaissance religieuse, mais toutes
les autres branches de la connaissance humaine qui auront atteint leur
apogée ».
* Pour lui,
l’islam souffre de deux maux
-
l’idéologisation de la religion – une
idéologie derrière laquelle on se
réfugie face à la modernité,
- l’accent
excessif mis sur les aspects juridiques, au détriment de
l’éthique, de la théologie et de la vie
spirituelle.
* Quant au premier mal,
la déviance moderne est pour lui que l’on en est
venu à comprendre l’islam plutôt comme
une identité que comme une vérité.
* Quant au
second, il affirme que « la loi », si
nécessaire qu’elle soit, n’est pas le
cœur de l’islam et sûrement pas sa
totalité : la foi intérieure doit
prévaloir sur les pratiques extérieures.
* Toujours
selon lui, ces deux maladies sont la cause d’une stagnation
de la pensée religieuse et rendent impossible tout dialogue.
Logiquement, il en vient à se faire le défenseur
de la démocratie (en politique), qu’il
définit comme l’existence du pluralisme et de la
tolérance dans la Société : il faut
savoir concilier religion et démocratie, raison et
Révélation, les valeurs de justice et de
liberté étant quant à elles absolues.
Pour être
compatible avec la démocratie, l’approche
religieuse doit accepter comme primordiales les valeurs de la
rationalité, de la justice, de la liberté, des
droits de l’homme etc.
* Une question
de fond pour Abdul Karim Soroush : Comment peut-on vivre comme musulman
dans un monde qui ne l’est pas ?
Pour
répondre à cette question essentielle, ouverte,
Soroush attire l’attention de ses coreligionnaires sur trois
manifestations particulières de la modernité qui
méritent d’être prises en
considération :
- la raison critique,
contre laquelle semble buter la raison «
herméneutique (c. à d. qui a pour objet
l’interprétation des textes) » : il est
inévitable pour lui de soumettre la pensée
traditionnelle à la première de ces raisons,
- le scepticisme,
auquel se heurte l’absolutisme en matière de
pensée. Il pose la question : est-il, comme on le croyait
traditionnellement, une vérité certaine et
absolue qui soit accessible ?
- les droits,
étrangers à la pensée islamique dans
laquelle il n’est question que de devoirs, les droits
étant à la base des conceptions modernes de
liberté et de sécularisme.
Ce que propose en
définitive Soroush, c’est une
religiosité instruite et réfléchie,
vécue, c'est-à-dire appuyée sur
l’expérience, fondée sur
l’amour de Dieu, dont le prototype est
l’expérience prophétique de Mahomet.
Dieu est pour lui le Bien Aimé, pas un
législateur austère. Ses commandements sont
à observer par compulsion d’amour, pas par
obligation « légale ».