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(Echanges. Contribution Jean-Paul M. janvier 2008)

La question allemande
au cours de deux millénaires






En exergue, une phrase de Nietszche en 1886 : « les Allemands sont plus inconcevables, plus amples, plus contradictoires, plus inconnus, plus déconcertants, plus surprenants et même plus effrayants que d'autres peuples ne s'imaginent l'être. Ils échappent à toute définition et font, pour cette raison déjà, le désespoir des Français. C'est un trait distinctif des Allemands qu'on voit toujours reparaître chez eux cette question : qu’est-ce qui est allemand ? »

Notre conception actuelle de l’Allemagne ou notre conceptualisation est simple : c’est un état démocratique d’environ 500.000 Km2, peuplé de 82 millions d’habitants, capitale Berlin.

Etat estimé comme la 3ème puissance économique mondiale, après les Etats-Unis et le Japon. Il s’avère un leader incontestable d’une Europe en voie de formation.

Comment notre représentation a-t-elle évolué au point de faire de l’Allemagne un concept avec toute sa densité ?

Nous tenterons enfin de répondre à l’interrogation de Nietszche « qu’est-ce qui est allemand ? »  

Il y a une « unité allemande » qui s’est organisée à travers deux millénaires  jusqu’en 1990.

Il y a eu trois ébauches de cette unité allemande qui ont pris droit de cité à travers trois Reich hégémoniques :

Le Reich d’Othon  962 : le Saint Empire germanique ;

Le Reich de Bismarck 1871 : celui qui voulait établir sur l’Europe, par les armes, une hégémonie prussienne ;

Le Reich d’Hitler 1933, qui voulait établir sur le monde une hégémonie idéologique basée sur la prédominance de la race aryenne au prix des exterminations      que l’on sait.

Mais, en 2000 ans d’histoire, ce qui a réellement fondé l’unité allemande, le sentiment national allemand – l’Heimat  et l’Heimatlos, nous y reviendrons – est-il le fait de ces trois Reich ou plutôt des interstices, des intervalles, qui ont rassemblé en une communauté économique, douanière, défensive, cette multitude d’états (jusqu’à 350, après les traités de Westphalie), états disparates  par essence ?


Comment l’unité allemande aurait-elle pu se forger ?

Passons en revue de façon apophatique (apophatique : ce qui est mais en dehors des causes raisonnables).
Les causes raisonnables d’une « unité allemande » ? ?
Nous en retiendrons six, pour les écarter :

1 - Unité à partir de la frontière naturelle :

La péninsule ibérique, la péninsule scandinave, la péninsule italienne, la Grande Bretagne avec son caractère insulaire et même l’hexagone français avec un seul  coté sur six n’opposant pas un obstacle naturel (frontière germano-belge), sont définis par des frontières naturelles. Donc, rien à voir avec les incertitudes du Rhin, du Danube, de la ligne Oder-Neisse. La mouvance balkanique ou celle de l’Europe orientale ne peuvent pas faire frontière.  Donc, la géographie physique n’a pas pu fonder l’Allemagne.

2 - Unité autour d’une dynastie :

Certes les Hohenzollern, depuis la Prusse au nord, et les Habsbourg, depuis l’Autriche au sud se sont affrontés (Sadowa) dans leur volonté hégémonique.
De même, les Wittelsbach bavarois au sud et les Hohenstauffen à l’ouest, à partir de leur bastion alsacien se sont efforcés de créer une hégémonie.
Sans oublier les Hohenlohe…
En fait, l’unité allemande ne s’est pas réalisée autour d’une couronne.

3 - Unité autour d’une religion :

Certes, le Saint Empire romain germanique aurait voulu se substituer aux deux empires d’Orient et d’Occident issus d’un monde catholique – Rome et Byzance -. Mais cette tentative a avorté dans l’œuf.
Certes, luthériens et calvinistes auraient voulu disputer le pouvoir religieux à Rome, mais ils étaient, par nature, opposés à un pouvoir romain, à un pouvoir papal. Etablir un  pouvoir hégémonique à Cologne ou à Francfort aurait été un non sens protestant. Il y a bien eu une ébauche de pouvoir « anglican », mais il s’agissait de Londres.
Donc,  l’unité allemande ne s’est pas faite sur des bases religieuses.

4 - Unité autour d’une langue :

Trois articulations linguistiques au sud, au centre et au nord ont connu des destins différents :

La cohérence linguistique revendiquée par Hitler :
- au nord, par le corridor de Dantzig
- à l’est, par la question des Sudètes
- au sud, par la conclusion de l’Anschluss
- à l’ouest, par le litige alsacien.

Cette tentative de cohérence a fait la preuve de son inanité.
De  même qu’il y a francophonie, il y a une germanophonie, mais elle ne constitue pas un ensemble géographique qui puisse être, en tout cas, réductible à une « unité allemande ».

5 - Unité autour d’une démographie :

Il est exact que de l’an 1 à l’an 1000, la démographie européenne a été à peu près stable.
Le monde était peuplé de 250 millions d’habitants et l’Europe ne comptait guère plus de 40 millions d’habitants.
Dans les limites que l’on pouvait alors attribuer à la France, la population n’était que de 8 millions, et dans le contexte allemand, on peut, peut-être, l’évaluer à 6 millions.
Il est certain que l’expansion démographique européenne a été un moteur d’unité. Des populations qui s’accroissent ont, en effet, le souci d’acquérir un territoire.
L’expansionnisme allemand sous Hitler a revêtu une forme de nécessité qui a même eu un nom : espace vital, Lebensraum.
Quel territoire, pour quelle population, est-il susceptible d’assurer une suffisance autoalimentaire ?  
Il est exact que la Ligue Hanséatique – bien qu’elle concerne d’autres pays que l’Allemagne – , que le Zollverein union douanière, ou d’autres formes d’union, ont fait beaucoup pour aboutir à une unité allemande, mais elles n’en n’ont pas été le primum movens.

6 - Unité autour d’une idéologie politique :

Il est exact que la révolution française de 1789 a eu une répercussion majeure auprès des populations germaniques.
Il est certain aussi que les révolutions de 1848 ont frôlé l’établissement de plusieurs régimes démocratiques dans le contexte allemand.
Par opposition, le IIè Reich bismarkien, fondé en 1871, dans la Galerie des Glaces à Versailles, en hommage à Guillaume, voulait établir une Allemagne prussienne qui régnerait de façon monarchique sur l’Europe toute entière. Mais, la fortune des armes, d’une guerre à l’autre, a abouti à son contraire : en effet, le 9 novembre 1918 disparaissait  l’empire de Guillaume laissant l’Allemagne dans un vide abyssal.  

Ce qui a été appelé la République de Weimar n’a été dès l’origine qu’une sorte de guerre civile larvée, un « à peu près » entre une république de soviets (spartakistes) et un souci de rétablir une monarchie constitutionnelle incarnée par Ludendorf et Hindenburg.

De 1918 à 1933, cette fragile construction, tiraillée entre ces deux tendances, construction apparemment démocratique, a fait face à des crises politiques et économiques majeures. Elle a contribué à unir l’Allemagne dans la douleur et la souffrance
C’est sur cette souffrance, unanimement partagée par toutes les classes sociales que Hitler a créé le mythe rassembleur d’une unité allemande.
Une révolution socialiste, un nationalisme opposé à tout ce qui n’était  pas allemand et in fine un  « parti national socialiste »
On peut dire que Hitler a contribué à souder l’Allemagne CONTRE mais il ne l’a pas unifié POUR.

D’où cette partition idéologique entre RDA et RFA selon le bon vouloir des vainqueurs venus de l’est et de l’ouest.

°  °  °

Ainsi, le concept de l’Allemagne ne s’est pas forgé :

1) A partir de frontières naturelles
2) A partir d’une dynastie
3) A partir d’une langue
4) A partir d’une démographie
5) A partir d’une religion
6) A partir d’une idéologie


Et pourtant, l’Allemagne est.

Pouvons-nous répondre à l’interrogation de Nietzche  « qu’est-ce qui est allemand ? »

C’est le principe d’une définition apophatique qui désormais se centrerait sur la notion de culture germanique : Kultur.

On peut la décliner sous les termes de romantisme allemand, de la Naturwissenschaft d’une philosophie spécifiquement allemande, d’une littérature, d’une musique, etc…

Comment pourrait-on dire que Goethe, Schiller, Wagner, Beethoven ne sont pas profondément allemands ?
Ils le sont bien davantage que Hitler, Bismark ou Othon.

Dans la palpitation de deux millénaires, trois Reich ont voulu organiser l’Allemagne autour d’un noyau dur. Mais, patiemment, subrepticement, dans des interstices ou des intervalles de l’histoire s’est identifiée une culture allemande qui a réuni des « Länder ».

Bien sûr,  il y en a seize aujourd’hui sous une forme fédérale (et non pas confédérale) , mais qui dirait que la Bavière ou la Poméranie, la  Souabe, le Schlewig-Holstein ne sont pas allemands.

Il n’y a pas d’autre unité que  de culture.

Ainsi, il y a bien une culture allemande qui fonde une unité allemande.





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