Retour au sommaire
(Echanges. Contribution Jean-Paul M. Septembre 2007)

Equité-Egalité




“Que Dieu nous protège de l’Equité de nos Parlements” Cette expression qui est intervenue comme un « leitmotiv » dans la plupart des Etats généraux qui ont précédé la révolution de 1789, manifeste à elle seule, le caractère arbitraire de cette valeur = l’équité.

L’EQUITÉ est un sentiment : Rien que cela et Tout cela. Comme tout sentiment il peut être objet d’un jugement de valeur.
En tant que jugement de valeur, il relève de deux ordres d’appréciation :
1) l’un qui fait appel à des valeurs transcendantales, (qui dépassent l’individu, la personne.)
2) l’autre qui fait appel à des valeurs immanentes, en ne faisant appel qu’à soi même, on peut se prononcer sur le vrai, le beau, le bien, le juste : c’est un jugement de valeur immanent.

Une phrase de J.E Portalis (rédacteur du code Napoléon) serait à mettre en exergue de mon propos sur la différenciation entre Equité et Egalité.
J.E  Portalis écrivait en 1804 dans le discours préliminaire du code civil : » Quand la Loi est claire, il faut la suivre, quand elle est obscure il faut en approfondir les dispositions. Si l’on manque de lois, il faut consulter l’usage ou l’équité. L’équité est le retour à la loi naturelle dans le silence, l’opposition ou l’obscurité des lois positives. »
Ce code civil a été presque universellement adopté, grâce à la concision de son style et à sa rigueur morale incontournable. (Napoléon voulait en faire l’essentiel de son héritage)
Seuls les pays de culture anglo-saxonne dits de « Commonwealth » ont choisi de refuser à l’usage ou à l’équité, ce qui revient dans l’expression de J.E Portalis à reconnaître une carence définitive de la loi.
La comparaison entre la « Common Law » et le « Code civil » fait apparaître que si des « lois positives » un arsenal de lois, peut approcher une égalité de principe entre les hommes ; si on veut atteindre une équité il faut faire appel à une valeur transversale ce que Portalis appelle sommairement une « loi naturelle. »

L’EGALITÉ, valeur immanente, procède d’un système sociologiquement clos, par rapport, auquel des « lois positives » énoncées par écrit, peuvent tendre à établir, maintenir ou rétablir, ce qu’ il en est d’une égalité affirmée entre les humains, hommes ou femmes, noir ou blanc etc… quelque soit le constat de leur différence. Ce qui se résume dans la déclaration universelle des « Droits de l’homme et du citoyen »
« Tous les hommes naissent libres et égaux en droit » Ne jamais oublier « en droit ». Ce n’est que par leur humanité, juridiquement reconnue en concédée, qu’ils peuvent faire appel à cette notion d’égalité.
En droit seulement les hommes naissent égaux.

L’égalité donc : valeur immanente
L’équité par contre : valeur transcendante
.  

Nous n’en voudrons pour preuve que toutes les religions monothéistes et tous les systèmes politiques (agnostiques, laïques, ou athée) font appel à cette notion d’équité en tant que dépassement transcendantal de l’égalité.

1) Les religions monothéistes d’abord :
Je crois préférable de procéder par image :
Qu’en est il de l’aumône ?
Dans les religions chrétiennes, juive, islamique ou par extension bouddhiste, l’Aumône a une fonction de premier plan.
L’Aumône dans la religion chrétienne va bien au delà d’une éthique singulière du sujet basé sur la générosité  ou la déculpabilisation.
Ce don charitable fait aux pauvres  se pose en fondement d’une religion sociale incontournable. Il est métaphore de la « redistribution »
Que signifie par exemple un Aumônier ? (celui qui est censé distribuer les aumônes) Dés qu’un individu ou un corps social se différencie dans l’Inégalité l’église rappelle à l’ordre par une personne physique la nécessaire redistribution.
L’Aumônier de Louis XIV, de Santé Navale, des polytechniciens ou des loubards = même fonction.
Appeler par l’esprit et non pas par la loi, la valeur transcendantale de l’équité, au delà ou en deçà de tout niveau socio-économique.
Rappel qu’a exprimé Senghor sur un plan international dans une formulation remarquable et d’une brûlante actualité : «  le rétablissement des termes de l’échange » Juste mesure entre «  qui acquiert s’endette » et «  qui paie ses dettes s’enrichit »
Quel moratoire pour les dettes des pays du tiers-monde ?
Restons en à la valeur exemplaire et équitable de l’aumône dans les religions monothéistes, considérée comme une redistribution, un partage des biens.
Dans la religion islamiste le Coran exige «  la décimation des biens » La légitimité de l’usage des biens acquis se réduit aux 9/10 de ceux-ci.
Dans la constellation bouddhiste, les bonzes ( les moines) peuvent et doivent vivre d’aumône.
Tout humain a à charge de façon essentielle et selon ses moyens de subvenir aux besoins des bonzes comme un exemple de redistribution.
Ainsi s’agit-il en ce qui concerne l’Equité  d’une valeur transcendantale affirmée par l’ensemble des religions monothéistes.
Mais au nom de quoi ?
De l’amour du prochain, érigé en valeur existentielle ? De la Charité ? de la prise en compte de l’autre par soi même ? De l’indispensable déchéance du narcissisme primaire ? « Je ne suis, je n’existe que parmi d’autres »
C’est l’altérité qui me fonde.
Je n’avais pas évoqué la religion juive mais ce thème infiltre toute l’œuvre de Lévinas : Amour de soi, amour des autres, amour de soi à travers les autres, amour des autres à travers soi ?
L’aporie fondamentale (question sans réponse mais basale) consiste en ce que le sujet singulier n’est sujet que par l’altérité.
L’aporie de l’amour est un exemple démonstratif de la différenciation entre égalité et équité.
Tout pourrait amener à ce que les protagonistes de l’amour se confondent.
Tout pourrait conduire à ce qu’ils se différencient dans l’équité selon que l’amour intervient
« summum jus. Summum injuria »
Le jugement de Salomon est la preuve éclatante de la prévalence de la parole d’amour sur la parole de vérité.
Il serait juste de départager les deux femmes selon la loi.
Il serait inique de partager l’enfant.
On pourrait aussi rappeler l’épisode du « fils prodigue » ou encore celui des « ouvriers de la onzième heure »
La Bible foisonne d’exemples selon lesquels l’équité s’oppose à l’égalité.

2) Les philosophies agnostiques, laïques ou athées :
Dans ces philosophies mêmes, la transcendance de l’équité s’oppose à l’immanence de l’égalité par l’intervention de la notion de « bien commun »
On pourrait rappeler l’hédonisme, le stoïcisme, toutes les philosophies présocratiques, mais tenons nous en à trois philosophies qui ont une valeur pragmatique à répercussion sur le lien social donc politique : le marxisme, le libéralisme, l’existentialisme.

A) le Marxisme :
Il procède d’un précepte fondamental : « a chacun selon ses besoins et selon ses moyens »
Evidemment tout se condense à « selon » Selon ses besoins ? s’agit-il de survie ou de vie ?
On peut survivre avec un minimum d’eau et de calories alimentaires, de sécurité à l’égard des prédateurs, de soins prolongeant la longévité dés la naissance etc, etc…
On peut vivre avec un minimum d’accès à la communication, d’accès à la satisfaction de désirs élémentaires, d’accès au partage des responsabilités, du pouvoir etc, etc…
Chaque fois que l’humanité dans son ensemble progresse la notion de besoins individuels s’accroît.
L’abolition de l’esclavage en est un exemple sur le plan de la reconnaissance de l’accroissement des besoins. (encore qu’il ne soit pas éradiqué sous des formes diverses)
Si un individu dans un camp de réfugiés du SCR a à sa disposition 1500 calories alimentaires et 10 litres d’eau, il est possible qu’il survive. Or ils sont prés d’un milliard sur six à vivre dans des conditions qui avoisineraient la survie 10.000 ans avant J.C Est-ce équitable ?
C’est aussi là que la « globalisation » contemporaine prend son sens.
La globalisation de la condition « misérable »
Chacun de nous sait ou peut savoir ce qui se passe au Darfour en Tchétchénie au Tadjikistan, en Birmanie etc, etc…
Des humains y sont traités de façon pour le moins inéquitable.
Que pouvons nous y faire ?
Des organismes internationaux  ONU, B.M, FMI, OMC y interviennent.
Des organismes non gouvernementaux (la kyrielle des ONG) ont des effets temporaires non négligeables.
Des formes de responsabilités individuelles ne sont pas négligeables non plus.
Des engagements politiques sont plus flous dans leur effet mais n’en sont pas moins présents dans leur efficience.
Qu’en est-il donc des besoins et de leur satisfaction équitable ?il s’agit bien d’un sentiment que nous projetons par rapport à nous même.
Un exemple pourrait en être donné par la rationalisation du suicide. En deçà de quelle satisfaction la vie n’a-t-elle plus de raison d’être prolongée ?
Si un chauffeur ne peut plus me conduire en Rolls pour acheter un bijou chez Van Cleef et Arpels, il ne devrait pas y avoir de raison raisonnable pour que j’en vienne à me suicider ? et pourtant ?
Et pourtant c’est dans l’excès même de ma proposition qu’on peut saisir le niveau de subjectivation projective qui auréole la notion de besoin.
Selon se besoins et selon ses moyens :
C’est ainsi que le Marxisme peut prétendre à englober le libéralisme. La reconnaissance du droit à engranger les fruits de la compétition est reconnue.
A travail égal, salaire égal : Ceci apparaît comme équitable mais deux obstacles majeurs surgissent.
Comme toute forme de travail ne peut pas être comparée à une autre, quel est l’arbitre qui va définir leur équivalence : l’Etat ? les lois du marché ?
Comme toute rémunération, par son accroissement, est promise à acquérir une part transmissible, cette plue value personnelle va-t-elle profiter au «  bien commun » ou va-t-elle être réservée à une filiation ?
La philosophie marxiste considérée à travers ces deux préceptes : à chacun selon ses besoins et selon ses moyens, à travail égal, salaire égal ; peut être reconnue comme subordonnée à une valeur transcendantale majeure : l’Equité.
Mais pour autant l’exagération de la notion de  « bien commun » dans le communisme a fait apparaître un état « Léviathan » engendrant l’iniquité des ressources par un capitalisme d’état, source de corruption, et par une aliénation de ces ressources au profit d’une classe dirigeante dont on a eu la preuve à l’occasion de la « mue » capitalistique. Par ailleurs le « matérialisme historique » exclut d’une certaine façon la temporalité et réduit l’équité à une dimension transversale en occultant la verticalité de la transmission filiation.

B) le Libéralisme :
Celui-ci par contre, s’appuie comme un socle sur la liberté de transmettre.
Il inverse également l’ordre des deux termes « à chacun selon ses moyens… et si on ne peut pas faire autrement selon ses besoins » (quand il n’annule pas le second dans sa forme extrême) « Que le plus fort gagne »
Ceci pourrait conduire, dans ses excès, à une loi de la « jungle » assortie juridiquement de la loi du « talion ».
La liberté exaltée dans le libéralisme, ne devrait-elle pas cesser, à tout le moins alors qu’est fait entrave à la liberté des autres ?
Ainsi nous retrouvons le problème de l’Altérité, la fonction d’autrui, l’amour du prochain, la charité bien entendue, intrinsèquement constitutive de la subjectivité, de l’émergence de tout sujet en société.

Liberté, Egalité, Fraternité :
Il ne s’agit pas de trois notions indépendantes, mais d’un même concept en trois volets.
La liberté ne se conçoit que tempérée par l’équité et la solidarité.
A cette seule condition le libéralisme peut être érigé en philosophie de la vie en commun.
Cette homogénéité d’un seul concept, distribué en trois notions ne peut être que le fruit d’un équilibre instable.
Chaque notion réduit l’autre et est réduite par l’autre. On ne peut pas en faire un « Etat » (dans l’ambivalence de deux acceptations du terme) On ne peut qu’y tendre.

C) L’Existentialisme :
Cette nécessaire tension arrive comme un point d’orgue dans mes propositions.
« L’existence précède l’Essence »
La vie dans sa temporalité, dans sa tension vers un devenir, promeut les valeurs qui nous animent.
Dans un «  va et vient » dans un «  après coup » qui donne sens au passé l’existence ( racine indo-européenne=sta= se tenir debout) le fait d’exister réinvente, donne corps, établit les valeurs dont nous ferons un système idéal (ou idéologique au sens noble du terme) en terme d’Ethique et dans son application pragmatique de Morale.
L’Existentialisme est un humanisme qui reconnaît l’Humain comme base, comme fondement, de toutes valeurs établissant la possibilité de vivre en société.
Si nous renversons les termes du concept unique ( Liberté-Egalité-Fraternité) nous en arrivons à :
a) Fraternité-Solidarité : Nous ne sommes qu’un parmi d’autre. Notre existence est intrinsèquement liée à celles des autres. C’est de ce constat qu’il faut parti.
b) Egalité-Equité ou plutôt tension vers un sentiment d’Equité. Nous ne pouvons exister sans justice sociale. C’est la condition même de notre vie.
c) Liberté : Liberté sans entrave à la liberté d’autrui ou sans atteinte à ses potentialités d’autonomie. A partir de là nous pouvons rechercher notre plein épanouissement

Ainsi, que nous considérions les quatre monothéismes dominants. (Chrétienté, Judaisme, Islamisme, Bouddhisme) ou les trois philosophies agnostique, laïque, ou athée (Marxisme,Libéralisme, Existentialisme) qui ont un impact légitime sur notre vie en société ; que nous prenions en considération ces idéologies (au sens philosophique du terme) nous retrouvons l’Equité en tant que valeur incontournable.

L’Equité est un sentiment fort disions nous à l’origine de notre propos.
Ce sentiment d’Equité exige de nous une tension vers un peu plus de justice sociale.
Encore conviendrait-il d’éclairer par des exemples ce qu’il en est en France et dans le Monde.
Ce sera l’objet d’un prochain article à joindre à nos travaux.  
 


retour en haut de la page