Brice PEER






LA CITÉ DE MIEUX

Courtes Nouvelles


Une  petite saga médiatique en six courtes nouvelles,
inspirées des dérives de la société moderne

" Humain, trop humain " avait déjà dit un certain Nietzsche.






TABLE DES MATIERES



LE PREMIER CERCLE    
CASSEURS   
LIBERTÉ    
LA CITÉ DE MIEUX   
IDYLLE    
GLASNOST    









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CASSEURS




Le premier parti des retraités fut fondé en 2006, en Israël, après l'accident de santé du leader historique Ariel Sharon.

Cette initiative fit rapidement tache d'huile. Comme on peut s'en douter, ces partis recrutaient dans toutes les couches de la société, et devaient s'efforcer de contenter des groupes assez disparates dans leurs niveaux d'aspirations culturelles. Le dénominateur commun était le rétablissement de l'ordre moral.

Depuis longtemps, la télé-réalité ne suffisait plus à satisfaire le goût du peuple pour les jeux du cirque.

A la rubrique politique étrangère, il y avait suffisamment de conflits sur la planète pour que les grilles de programmes puissent comporter une dose optimale d'hémoglobine et de passions violentes propres à  donner sa pâture au sadisme résiduel du téléspectateur.
La profession de cadreur de guerre était florissante. On murmurait même que certains payaient des figurants pour rejouer les bonnes séquences.

Sur le plan intérieur en revanche, le peuple ne supportait plus de voir tous les soirs, au journal de vingt heures, les émeutes si fréquentes au début du XXIème siècle.

Il le supportait d'autant moins que le parti des retraités, de fondation récente mais qui avait connu une percée foudroyante aux dernières élections nationales, s'était associé au parti des contribuables pour mettre l'accent sur le coût important de la réparation des dégâts occasionnés par les casseurs. Sans parler des coûts induits pour la Justice (toujours débordée) et la Détention (plus chère que le Club Méditerranée ).

En 2050, le Gouvernement mit en œuvre une nouvelle stratégie: les blindés anti-émeutes qui étaient déjà équipés de canons à eau et de tubes lance-grenades lacrymogènes furent dotés d'un nouveau type de grenades dites aux phéromones.

*  *  *

Tous volets fermés dans leur appartement parisien, Marcel et Elise Durand, octogénaires en pleine forme et retraités depuis dix ans, regardaient le journal télévisé sur leur grand écran à piézo -miroirs.

La présentatrice , une magnifique Africaine à l'accent distingué impeccable, annonça sur un ton neutre :" ce soir, une bande de casseurs s'est donné rendez-vous dans le centre de Paris aux abords de l'Hôtel de Ville. Toute autre manifestation est interdite. Les forces de l'ordre ont reçu consigne de ne tolérer aucun débordement..."

L'image montrait la rue de Rivoli envahie par une bande de jeunes adultes vêtus comme des motards, armés de barres de fer, de chaînes, de battes de base-ball et aussi d'énormes pieds-de-biche bien utiles pour extraire les pavés de la chaussée.

Une première vitrine vola en éclats. Marcel dit à sa femme:
- on dirait la bijouterie en face de chez nous. Baisse le son et jette un coup d'œil à travers les fentes des volets.

C'était bien ça. Elise et Marcel étaient partagés entre la curiosité, qui les poussait à prendre les risques du direct, et la prudence, qui commandait de rester devant leur écran. La prudence l'emporta.

Les casseurs venaient de piller la bijouterie et s'apprêtaient à y mettre le feu.

Un blindé anti-émeute fit son apparition sur la gauche de l'écran, dans l'enfilade de la rue de Rivoli. On entendit deux flops sourds, suivi de petites explosions.

La masse hurlante des casseurs parut hésiter.

La présentatrice annonça " les forces de l'ordre viennent de mettre en œuvre le plan CASSAUTO "
L'écran montrait une mêlée générale à coup de barres de fer. L'incendie de la bijouterie n'était plus à l'ordre du jour. Les casseurs se bastonnaient entre eux .

- vise le grand black qui fait des moulinets avec sa chaîne!
- Ah oui je le vois, on dirait Hobitruc  dans la guerre des étoiles IX !

Soudain Hobitruc s'effondra sous l'effet d'un coup de barre porté traîtreusement par un minus en pantalons tombants et capuche rabattue sur le visage.

- bien joué, Astérix !

Les hommes à terre étaient achevés à coup de pieds lancés dans la tête, comme un essai transformé au rugby. Marcel était complètement excité. Elise partagée entre satisfaction et compassion pour les victimes.

Au bout d'un moment, le centre de l'émeute se déplaça. On distinguait nettement, blessés ou morts, plusieurs corps à terre sur la chaussée de la rue de Rivoli. Personne n'avait l'air de s'en soucier.

Marcel dit à Elise:
- Y a pas à dire, ces nouveaux gaz "fer-hormones " sont très efficaces pour notre sécurité.
- On ne dit pas fer-hormones mais faire-aumônes.
- Si tu veux. En tout cas ça marche.

Vers minuit le calme était revenu dans la rue de Rivoli. Le couple alla se coucher rassuré.

*  *  *

Le lendemain de bonne heure, Marcel ouvrit les volets. Le ciel était limpide, et le soleil serait au rendez vous dans l'enfilade de la rue de Rivoli. Presque aucune trace des affrontements de la nuit, mis à part la vitrine d'en face.

Les balayeuses municipales achevaient de pousser les ordures à l'égoût.




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